Mathieu Blais et Jacinthe Laforte, 16 nov. 2011 Photo B. Roy |
En cette semaine de la grande foire marchande du livre, le Salon du livre de Montréal, je rêve...
On n’a très souvent pas besoin de posséder un livre pour le lire. Les éditeurs pilonnent chaque année des milliers de livres (c’est-à-dire qu’ils envoient à la destruction, au recyclage, les livres qu’ils pensent ne jamais vendre et qui prennent de la place d’entrepôt; les auteurs ont généralement l’occasion de racheter ces livres à un coût très bas, mais encore, quand leur réseau est déjà saturé, où les vendront-ils?). L’imprimerie, même sur papier recyclé, n’est pas sans empreinte écologique.
Donc, l’idée, ça serait de mettre l’accent sur le contenu des livres, et pas sur le produit commercial. Le livre électronique peut jouer ce rôle-là. Mais n’oublions pas les minéraux qui servent aux tablettes de lecture électroniques - ça me brise le coeur l’insouciance avec laquelle on consomme la technologie qui est directement reliée à des atrocités humaines et environnementales en Afrique, en Amérique latine et ailleurs.
Je rêve... Les humbles éditions pourraient publier d’autres livres, et en imprimer seulement assez pour que toutes les bibliothèques du Québec et de la francophonie puissent en avoir un exemplaire. D’accord, quelques-uns de plus, quand même... Et rendre accessible gratuitement les oeuvres en version électronique, ou proposer un prix selon le revenu.
Mais on en revient à la question du financement. Quand les choses sont gratuites, c’est parce que quelqu’un a contribué quelque part. Quelqu’un, ou le groupe. Le groupe qui aurait décidé qu’il est globalement plus profitable à tous et à chacun de vivre dans une communauté inclusive que de calculer à la minute ou à la piastre qui doit quoi à qui. (Je jasais l’autre jour avec une jeune femme qui vit avec quatre ou cinq autres personnes dans un grand logement (deux couples et un enfant, et un autre enfant s’en vient). Les factures pour la nourriture vont dans un pot et ils séparent les coûts à part égale. Mes expériences de colocation ont davantage été « chacun sa livre de beurre, chacun sa tablette dans le frigo ». Ça m’a fait rire de trouver si extraordinaire le fait que le partage soit la règle dans cette maisonnée, et que ça semble fonctionner. Car en fait, c’est bien l’individualisme, le « chacun sa pinte de lait » qui est une nouveauté dans l’humanité, non? Une nouveauté qui est « juste » dans un sens, mais qui distord le sentiment d’appartenance et de solidarité à la base de toute société humaine.)
Je suis inspirée par des organismes comme Engrenage noir - Levier, Filles d’action ou Aliments d’ici, qui organisent des activités de grande qualité, GRATUITES ou bien à coût vraiment minime (3$ pour un repas ou un atelier, par exemple). C’est qu’il y a soit des subventions derrière, soit une immense contribution de temps bénévole, ou les deux. J’ai participé cet automne à deux ateliers organisés par Engrenage Noir, un de 15h, un de 32 heures, gratuits! Sur le marché, ça vaut des centaines de dollars. C’est sûr que des étudiants ou des personnes à faible revenu, que ce soit par exclusion sociale ou par choix militant, n’auraient pas pu se les payer. Un livre à 25$, c’est la même chose.
Alors si l’auteure, l’artiste, tente de vendre ses services, devient entrepreneure, elle ne peut que s’adresser à ceux qui ont de l’argent. Ou bien demander des subventions. Et quand les subventions diminuent, parce que l’élite du gouvernement préfère le marché à la « providence », il faut se tourner vers les entreprises, les fondations privées. Est-ce qu’on peut vraiment être aussi libre, alors? Ou bien, faudrait un mécène qui serait d'accord avec nos idées, mais qui ne se sentirait pas capable de lâcher sa participation à l'industrie, au monde financier ou à la business as usual? Je suis sûre qu'il y en a...
Je rêve d’un État où on subventionnerait les écrivains pour écrire, et où l’objet livre ne serait plus qu’un support. Et le Salon du livre, une foire des idées, des mots, de la rencontre.
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