mardi 10 avril 2012

"Le bio c'est pour les riches"


Je suis de retour, après quelques mois d'hibernation...
* * *
Récemment, quelqu’un m’a dit que les groupes d’achat n’étaient pas tous à l’avantage du consommateur, en soulevant avec indignation que dans celui d’Aliments d’ici, un chou se vend 2,50 $. Ma première réaction a été la défensive :  - Mais c’est bio...

La face que l’autre a faite m’a montré que je ne le convainquais pas. Je ressentais une envie de sauter dans un débat , et ça m’a rappelé d’autres  conversations avec des gens qui travaillent dans le communautaire. Des conversations chargées, qui suscitaient beaucoup de colère chez ceux et celles qui travaillent avec des personnes à faible revenu. En bref : « Le bio, c’est pour les riches! »
Cette colère contre « le bio »  me laisse chaque fois troublée, désolée qu’on ait à opposer, d’une part, agriculture respectueuse de l’environnement et alimentation saine (sans pesticides) et, d’autre part, l’accessibilité même de la nourriture... 

Je suis désolée qu’on rejette le bio parce qu’il coûte cher, comme si le bio était un snobisme qui offense les gens ordinaires. Ça l’est peut-être devenu, une tendance, quelque chose qu’on approuve parce que c’est dans l’air, que ça paraît bien.... C’est sûr que  le monde marchand l’a récupéré, c’est sûr que les petits plats fins tout préparés bio coûtent une fortune. 

Mais à la base, l’agriculture biologique, ce n’est pas une sophistication snob, c’est plutôt une simplification. Simplification dans le sens de retour à la logique de la nature, compréhension globale de l’écosystème dans lequel nous vivons. Ce qui est très complexe, mais pas de la même façon que le système industriel qui nous a tant éloignés de l’essentiel, de la nature sans laquelle on meurt... C’est simplement une question de pérennité de l’espèce humaine! Et les petits agriculteurs bio sont pauvres eux-mêmes! C’est une vraie vocation que de cultiver la terre (on le sait!), mais en plus, pour les petits bio, dans la précarité et sans soutien du système agricole, qui est organisé autour des grandes cultures industrielles.

En voyant ma réaction, mon envie de défendre le bio, avec une certaine agressivité, je me suis dit que je devais réfléchir à tout ça. Ce faux conflit entre la valeur de l’écologie (et de la santé par l’alimentation saine) et celle de la justice sociale me fait penser à la fameuse maxime « Diviser pour mieux régner ». Il faut réconcilier le souci de l’environnement, de la santé naturelle, et le souci de sécurité alimentaire pour tous!  En ce sens, bravo aux jardins collectifs qui donnent accès aux personnes à faible revenu non seulement à des légumes souvent bio, mais à un savoir-faire, à une connexion avec la terre, en plus d’une expérience d’empowerment de groupe. 

Ah, cette combativité agressive qui monte en moi quand j’entends dire avec hargne que « le bio, c’est pour les riches », et qui semble aussi habiter mes interlocuteurs... Je conçois qu’il ne sert à rien d’argumenter, parce que c’est justement un conflit apparent de valeurs profondes qui génère d’abord une résistance émotive tout à fait normale. Et une frustration bien légitime, pour les personnes qui se serrent la ceinture, si elles ressentent un jugement moral de ma part quand je mentionne qu’il est bon de manger bio, alors que ça leur semble tellement inaccessible (j’écris « semble », car des aliments bruts bio cuisinés maison ne coûtent pas cher; je connais beaucoup de gens « sous le seuil de la pauvreté » qui mangent bio. C’est une question de connaissance de recettes, de valeurs, d’ouverture à apprécier de nouvelles saveurs. Ce qui n’est pas toujours évident, le rôle de sécurité et de réconfort de la nourriture étant tellement important...) 

Je me dis qu’il est possible de ne pas entrer dans l’opposition, de prendre une petite distance pour la constater et faire de la place aux deux valeurs de fond apparemment en opposition. J’ai fait cet automne un atelier  de Judy Ringer, organisé par Engrenage noir/Levier. Judy est  une prof d’aïkido qui transpose les principes de cet « art de la paix » dans la résolution de conflits. Nous faisions des exercices physiques, où par exemple deux personnes se tenaient la m ain en tirant chacune dans sa direction, puis soudainement l’une d’elle relâchait la traction pour venir se placer à côté de l’autre, regarder son point de vue, avant de doucement l’inviter à regarder de son côté aussi...  Sortir de la logique où un seul des partis doit avoir raison.

J’écris ce billet et voilà que je tombe, au bas d’un courriel, sur cette citation  (traduite rapidement à la suite):
Whether we’re seeking inner peace or global peace or a combination of the two, the way to experience it is to build on the foundation of unconditional openness to all that arises. Peace isn’t an experience free of challenges, free of rough and smooth—it’s an experience that’s expansive enough to include all that arises without feeling threatened.

(Que nous cherchions la paix intérieure, la paix mondiale ou les deux, pour la vivre il faut s’appuyer sur une ouverture inconditionnelle à tout ce qui survient. La paix n’est pas une expérience sans défis, elle n’est pas lisse et sans accrocs : c’est une expérience d’ouverture assez grande pour inclure tout ce qui survient sans se sentir menacé.)
- Pema Chodron, "Unlimited Friendliness"

Voilà, c’est exactement ça. Ne pas chercher à convaincre. Accepter qu’il y a en ce moment, dans notre société, ce conflit apparent entre des valeurs tout aussi valables, un conflit apparent entre des personnes de bonne volonté qui travaillent fort pour que le monde soit plus juste, plus harmonieux... Et vraiment écouter l’autre personne qui se plaint du « bio pour les riches », honorer ce qu’elle a à dire avant d’exposer calmement ma vision. J'essaye ça et je vous en reparle!

7 commentaires:

  1. Bonjour Jacinthe,

    Si on enlevait à l'industrie agroalimentaire et aux compagnies pétrolières toutes leurs subventions, abris fiscaux, déductions comptables et autres spéculations boursières (sans compter les coûts humains et environnementaux de la surexploitation des sols), la nourriture industrielle deviendrait soudainement aussi chère, sinon plus, que les aliments bio. Et on n'a pas encore parlé du pic pétrolier...

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  2. Bonjour Jacinthe,

    Juste un mot pour te remercier de tes réflexions toujours (humblement) stimulantes. Et pour tester le mécanisme de message et de "profil" nécessaire pour le publier...

    Dominique

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  3. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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    1. Ça a l'air fou comme ça... C'était mon ami Dominique qui essayait le profil "Anonyme"...

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  4. Finalement, les choux de la commande du groupe d'achat d'Aliments d'ici étaient 1,50 $! Bio! :)

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