J’ai terminé récemment la lecture de La fin de l’abondance de Michael Greer, paru en français ce printemps
chez Écosociété.
Le titre original anglais, The Wealth of Nature : Economics as if Survival Mattered
(qu’on pourrait traduire assez littéralement par « La richesse de la
Nature : une économie pour la survie » ou « ... comme si la
survie était importante »), fait allusion à deux ouvrages dont Greer parle
effectivement. Premièrement, La Richesse
des nations, le fameux ouvrage d’Adam Smith publié en 1776, au début de
l’ère industrielle en Angleterre, qui posait les bases de ce qui deviendrait la
théorie économique actuelle (la « main invisible du marché », c’est
de lui). Ensuite, Small is
beautiful : Economics as if
People Mattered de E. F. Schumacher (1973;
publié en français en 1978 avec le sous-titre Une société à la mesure de l’homme). Le premier est en quelque
sorte à l’origine des illusions qui mènent notre monde à sa perte et le second
propose des pistes de solution.
Selon Greer, la civilisation industrielle est sur son déclin
et aura été une exception dans l’histoire de l’humanité. Une exception due au
pétrole, source énergétique concentrée inégalable qui tire à sa fin, le pic
pétrolier ayant été atteint. Or, le développement technologique aurait suivi la
découverte du pétrole, et en dépendrait. Même l’Internet serait difficilement
soutenable sans hydrocarbures, car les ordinateurs, s’ils consomment
relativement peu d’énergie à l’utilisation, dépendent d’un système industriel
énergivore et de fermes de serveurs qui elles, consomment beaucoup. Greer explique à l'aide de la loi de la thermodynamique que seule une énergie extrêmement concentrée peut soutenir une telle productivité, à cause de la perte de chaleur inévitable lors de la transformation. Mais
pourquoi les gouvernements ne se penchent-ils pas sur la question?
En bref, Greer explique que les théories économiques qui datent
d’Adam Smith et mènent le monde ne prennent pas en compte la réalité, ni physique
ni sociale (il le démontre notamment à partir de la bulle immobilière qui a
causé tant de dommages aux États-Unis. Cette partie de l’ouvrage est complexe
et m’a fait penser qu’il me manquait un cours d’économie 101 pour bien
suivre — ce qui appuie les dires de Greer quand il affirme que le monde
occidental a atteint un niveau d’abstraction tel que la majorité des gens ne
comprennent pas comment fonctionnent les rouages dont dépend leur vie
quotidienne). Les prévisions des économistes se basent sur la théorie de
l’offre et de la demande, prévoyant une augmentation de l’offre de pétrole en
fonction de la demande, sans que la
provenance de ces hydrocarbures soit encore déterminée. De plus, le monde financier multiplie à volonté des richesses virtuelles qui n'ont plus aucun lien avec la richesse réelle, donc les biens réels (terrains, récoltes, matières premières, produits), ce qui crée un système extrêmement fragile, qui peut s'effondrer à tout moment.
La fin de l’abondance
émet l’hypothèse d’une diminution par paliers de notre niveau de vie, diminution
qui ne sera pas optionnelle, mais qui se fera nécessairement — d’ailleurs, elle
serait déjà commencée. Selon Greer, des crises amèneront les gens à vivre plus
simplement, puis la situation s’améliorera un peu avant une autre diminution.
Graduellement, nous en viendrons à un mode de vie plus près de la subsistance,
comme dans le tiers-monde.
Crédit: Mathieu Carpentier |
Pour proposer des pistes d’adaptation, Greer s’appuie en
bonne partie sur Schumacher et sa notion de technologie appropriée (ou intermédiaire) : il
s’agit d’outils de base et de machines simples permettant une production plus
efficace qu’à la main, mais ne requérant pas les investissements énormes
nécessaires à la construction d’usines; surtout, cette technologie fournit à un
grand nombre de personnes un gagne-pain autonome et décentralisé. Greer donne
l’exemple de petits métiers à tisser permettant à des artisans de doubler leur
production, sans les envoyer dans des manufactures où il perdent, dans le bruit
et les contraintes, le contrôle de leur gagne-pain au profit d’actionnaires
éloignés. Greer propose à ce sujet une analogie comique entre un robot, Al, et
une travailleuse, Rosy, énumérant les avantages de la travailleuse humaine,
entre autres le fait qu’elle ne requière que de l’énergie solaire (à travers les
plantes et les animaux qu’elle mange) et qu’elle se reproduise « toute
seule », tandis qu’Al, lui, demande de l’électricité et coûte cher à
remplacer. Les moyens de transport actifs aussi sont des exemples de technologie intermédiaire.
Ce ne sont que quelques éléments de ce livre que j’ai trouvé
agréable à lire en général, l’auteur ne manquant pas d’humour, et qui a suscité
plusieurs conversations avec mes proches et des réflexions sur la complexité du
monde.
La fin de l’abondance... d’une certaine abondance, oui. Mais
qu’est-ce vraiment que l’abondance?
* * *
Michael GREER. La fin
de l’abondance. L’économie dans un
monde post-pétrole, Montréal, Écosociété, 2013.
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